Journal de bord : croisière de Anvers à Valparaiso du 3 au 10 février 2015
Mardi 3 février
Nous sommes à Anvers où Annie m’a accompagné pour l’embarquement sur le Spirit of Hambourg, porte container de la compagnie Hamburg sud, à destination de Valparaiso. Le départ prévu initialement le 3 a été retardé au 4. Annie suit par internet la progression du navire. Il arrive vers 15 H à Anvers où il est supposé passer 24 H à quai. Je dois embarquer tranquillement mercredi matin, suivant les instructions de l’agent portuaire de la compagnie. Par acquis de conscience, vers 18 H, Annie téléphone au bateau, qui lui annonce un départ très tôt le lendemain matin. Affolement, départ immédiat.
Ma seule indication est « berth 1704 ». Cela parait suffisant pour le taxi. Il fait nuit. On roule une bonne vingtaine de kilomètres depuis le centre- ville. La zone portuaire est en pleine activité. Des projecteurs de partout, une noria de camions dans tous les sens.
Le chauffeur du taxi parait moins sûr de son affaire que ce qu’il semblait. Nous arrivons à une barrière d’accès. Il va parlementer avec un gardien et vient m’expliquer que le bateau n’est pas loin. En voiture c’est un long détour, mais à pied c’est tout prêt. Je refuse de descendre, va pour le détour. Il bougonne, mais je vois bien qu’il n’est pas fier de lui. Il roule un bon moment en hésitant et on finit par arriver à un nouveau portique d’accès. C’est le bon ! J’ai bien fait de ne pas vouloir descendre avant ! Le taxi me laisse à la barrière, on contrôle mes papiers et une navette vient me chercher pour m’amener au bateau. La navette roule un bon moment. C’est une succession de navires. Tout est éclairé et en pleine activité. Les grues montent des containers, les camions vont et viennent. Nous arrivons au Spirit of Hamburg par l’arrière. Je vois son nom sur la proue. Ouf !
La navette me lâche. Le navire est totalement collé au quai. La passerelle accède directement au pont principal. Je suis bien accueilli et amené à ma cabine. Superbe ! On m’a donné une feuille d’instructions où figurent les horaires des repas. Le dîner est à 17H. Il est 20 H, raté !
N’étant pas homme à me laisser dépérir, je réclame au moins un sandwich. Sympa on m’emmène à la cuisine et j’ai droit à un vrai repas. Retour à la cabine et première nuit à bord.
mercredi 4 février 2015
Réveillé à 6 H 00, c’est un peu tôt mais tant pis. Je prends le temps de bien examiner la cabine. Aussi bonne impression que la veille. A regarder de près, on constate que tout es prévu pour une mer agitée. Les tiroirs ferment avec des aimants et il faut tirer dessus comme un forcené pour les ouvrir. Le fauteuil du bureau n’a pas de roulettes mais des pieds à larges patins. Le lit a une bordure haute pour ne pas tomber. Les étagères ont toutes de rebords. Tous les détails sont prévus. A l’extérieur je constate que le bateau est moins haut sur l’eau que je ne le pensais. Il est long : 250 mètres mais assez bas sur l’eau.
Les logements sont au milieu du navire. C’est un immeuble de sept étages avec ascenseur, surmonté par la passerelle de commandement. Ma cabine est à l’angle arrière gauche au quatrième étage. J’ai deux fenêtres : une sur les containers et l’autre sur le large.
Au petit déjeuner je découvre l’autre passager, en l’occurrence une passagère. C’est une allemande, Christel, qui va faire l’aller-retour complet Hambourg Valparaiso. Il y a plus fou que moi !!! Elle parle un peu l’anglais et semble regretter que je ne parle pas allemand. Au risque de la décevoir, je ne vais pas m’y mettre.
A midi et demi le bateau a quitté son mouillage et s’est engagé dans le chenal. Zone portuaire, fumées d’usines, éoliennes, plat pays, pas vraiment attirant.
Tout au long de l’après-midi je vois défiler l’estuaire, ce n’est que vers 6 heures que le bateau s’engage vers le large. Je ne sais pas très bien quelles est notre position mais je vois la côte éclairée à droite du cargo par ma fenêtre.
Au dîner nous sommes quatre : un officier indien qui ne dit pas un mot, l’officier électricien ukrainien, l’allemande et moi. L’ukrainien est plutôt sympa mais la conversation est laborieuse. Je sens que je ne vais pas beaucoup exercer mon anglais.
J’apprends que le navire vient d’embarquer un nouveau commandant mais je n’ai pas l’occasion de le croiser.
La soirée est longue, le repas est terminé à 18H15. L’allemande disparait sitôt la dernière bouchée avalée. Le steward birman m’avertit que nous changerons de fuseau horaire dans la nuit. Retour à la cabine, je me passe le DVD Noé, ce n’est pas un choix heureux, on y voit les flots déchainés et l’arche ballotée par la tempête.
jeudi 5 février 2015
Hier soir, je me suis endormi à 10H 30 avec l’idée qu’il faudrait tenir au lit, le petit déjeuner n’étant qu’à 7 H30. L’impression dans la couchette est assez étrange, on se croirait vraiment dans un confortable train de nuit, sauf que la cabine est beaucoup plus grande.
J’ai dormi dix heures presque d’un seul trait. L’horloge de ma cabine s’est calée automatiquement sur la nouvelle heure. Il est désormais une heure plus tôt qu’en France.
Dans la salle à manger, toujours les mêmes plus un officier blond athlétique à l’autre table. Je décide de me lancer laborieusement dans la conversation. L’ukrainien n’a pas non plus un anglais beaucoup plus brillant que le mien. Le blond de l’autre table vient à la rescousse. Je sais qu’il est officier parce que nous sommes dans la salle des officiers, sinon il est en teeshirt comme tout le monde, foin de protocole. Il me demande gentiment si j’ai eu le mal de mer et non, je n’y ai même pas pensé. Il me dit que de toutes façon je l’aurai à un moment ou un autre, mais c’est dit gentiment et il me signale qu’il y a tout ce qu’il faut à l’infirmerie. Il me confirme que nous passons entre l’Angleterre et l’Irlande. Les prévisions météo sont bonnes pour les deux prochains jours, mais ensuite ça se gâte. J’apprends ensuite qu’il s’agit du nouveau commandant.
Promenade dehors, je monte sur une plateforme au-dessus de la passerelle. Point de vue inégalable. C’est la première fois de ma vie, je crois que je suis vraiment en pleine mer. Des quatre côtés du bateau la mer, la mer, la mer. Il me semble cependant distinguer une côte à droite du bateau, ce qui serait logique, mais même avec les jumelles je n’arrive pas à déterminer si c’est une côte ou des nuages bas.
Pas de terre donc, mais des bateaux. Il y en a bien 4 ou 5 en permanence. Je bénis le vendeur de jumelles qui m’a conseillé de ne pas prendre un grossissement trop important, j’ai pris du 8. Le bateau bouge sans arrêt et il y a la vibration des machines. Avec un grossissement plus important je n’arriverais pas à fixer mes objectifs. Je bénis aussi le fait d’être bien équipé, le bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, les gants, la veste de mer c’est vraiment nécessaire pour en profiter.
Vendredi 6 février
Il fait soleil, la mer est calme d’un bleu sombre impressionnant. Je ne sais pas si mon imagination m’emporte mais j’ai l’impression que c’est très profond. Je suis allé sur la passerelle et on m’a montré la route du navire sud-sud-ouest toute. L’atmosphère commence à légèrement se dégeler et je me sens plus à l’aise pour m’exprimer en anglais. Les gens paraissent comprendre ou tout au moins agissent comme s’ils avaient compris. Hier après- midi j’ai parlé un moment avec un apprenti. Manifestement on ne parle plus de mousse. Il est colombien et doit débarquer à Carthagène pour reprendre l’école. Lui aussi m’a annoncé que le temps allait se gâter et qu’il y aurait du roulis. Nous aurons les vagues par le travers. Ce matin j’ai observé la mer, c’est la principale occupation. J’ai vue des dos de bestioles dont je pense qu’il s’agit de dauphins. Plus de bateau à l’horizon, nous sommes vraiment en pleine mer. J’ai eu une vision superbe du soleil perçant à travers les nuages comme un projecteur sur l’océan bleu acier ; c’est biblique !!! C’est ce que je voulais, je suis servi. Le soir quand je regarde par le hublot, c’est vraiment noir. On s’enfonce dans l’océan.
J’ai eu accès au plan de marche du navire : première escale en République Dominicaine le 14 février, soit à huit jours de mer d’aujourd’hui. Je ne suis pas pressé. Je commence à organiser mon temps.
Ce matin j’ai pu passer un mail et je peux en recevoir. On nous annonce pour cette nuit un nouveau changement d’heure, un tous les deux jours, c’est logique.
samedi 7 février 2015
Hier soir, je suis monté sur la passerelle pour téléphoner. Raté je suis tombé sur le répondeur !! La passerelle était dans l’obscurité totale, il n’y a que la lueur des instruments ; Deux hommes de garde, dont l’un reste debout en permanence en arpentant la passerelle, c’est rassurant.
Le pilote m’a montré notre route tracée sur la carte. Il m’a expliqué que nous faisons un détour pour éviter une zone de turbulence, ce n’est pas pour ménager les passagers mais pour ne pas perdre de container. Soit, ce qui compte c’est d’éviter la tempête.
Ce matin l’océan a la couleur du bronze. Il est totalement vide, rien à l’horizon, ni terre ni bateau. Nous sommes à 3 jours d’Anvers, soit environ 3000 km et à une semaine de Caucedo en république Dominicaine soit dans les 7000 kilomètres. Le soleil, qui est dégagé permet de bien se repérer, il est à babord, donc nous filons plein sud.
dimanche 8 février 2015
Le navire avance, avance dans un océan désert. D’après l’Ukrainien, dont le nom est imprononçable, nous sommes dans le triangle des Bermudes. Je me rappelle avoir lu que l’équipage de la Santa Maria, le navire de Christophe Colomb, avait failli se mutiner à force d’avancer dans un océan sans fin. Je ne sais plus combien de temps ils ont mis, il faudra que je regarde ça au retour. On comprend mieux leurs peurs. La mer n’a pas le même aspect qu’aux abords des côtes. Il faut bien deux ou trois mille kilomètres pour se trouver vraiment en plein océan. Je comprends qu’ils aient eu peur de tomber dans un gouffre au bout de l’horizon.
La mer est un peu plus agitée. Il devient difficile de tenir debout sur une seule jambe. Pourquoi se tenir debout sur une seule jambe ? me direz-vous. Pour enfiler mon pantalon, comme tout le monde ! L’exercice va peut-être devenir acrobatique.
Longue conversation ce matin avec un jeune éthiopien, électricien à bord. Il fait ce métier pour gagner de l’argent rapidement. Tout est programmé, il se mariera dans trois ans et la fiancée est déjà trouvée. Il m’a parlé des difficultés de son pays, de la centaine de langue qui y sont parlées et de la sécession de l’Eritrée. Il a de la famille en France à Montpellier et à Lyon.
Lundi 9 février
Le temps est beau et, malgré le vent, on sent qu’on est sorti de l’hiver. Fini bonnet et gants, voici venir la casquette pour se protéger du soleil. Il n’aura fallu que 5 jours. La mer, par contre est davantage formée et le bateau a un peu de roulis. Tous les couloirs et tous les escaliers à l’intérieur ou dehors ont double-rampe. On comprend pourquoi. Je perçois pleinement le sens de l’’expression se tenir au bastingage. L’étape suivante sera « se cramponner au bastingage », mais on n’en est pas encore là.
Je m’aperçois que je n’ai pas encore parlé des repas. Ils sont servis au mess des officiers : 7 H 30 pour le petit déjeuner, 12 H 00 pour le déjeuner et 17 H 30 pour le diner. La nourriture est bonne, variée et surtout très saine. Il y a toujours des légumes et la préparation me parait assez diététique. Pas de gras inutile. A midi, soupe en entrée, puis une assiette servie. Le plat n’est pas sur la table. On ne se ressert pas ! Généralement un fruit en dessert. Le soir, un plat, pas de dessert ! Les nuits sont souvent rallongées parce que nous passons un fuseau horaire tous les deux jours. Le matin j’ai carrément faim ! J’ai du mal à me faire au rythme du diner à 17 H 30. Je n’arrive pas à repérer la dominante de ce qu’on nous sert, c’est un mélange de cuisine asiatique et européenne.
Le déroulement des repas est rapide et silencieux. On sent que l’ambiance de travail est assez chargée. Le tout est expédié en vingt minutes maximum. Ce n’est pas à table qu’on parle, mais au gré des rares rencontres au coin d’une coursive. Mon allemande me dit que c’est pareil sur tous les bateaux. Les équipages sont peu nombreux.
Le tout doit me convenir, je me sens dans une forme excellente.
Mardi 10 février
Le capitaine s’est aperçu que je n’avais pas eu de formation à la sécurité quand je suis arrivé à bord. Il a chargé le premier officier, son second, de me briefer sur le sujet. L’allemande a déjà fait beaucoup de voyages en cargo, elle est fille, sœur et tante de commandants. Elle est cependant briefée également.
Je ne m’en étais pas aperçu, mais j’ai une combinaison et un gilet de sauvetage dans ma cabine. Heureusement que le bateau n’a pas coulé avant. En cas d’alarme (il y a un haut- parleur dans ma cabine), je dois enfiler le truc et foncer sur le canot tribord (à gauche en sortant pour les terriens). Il y a un sifflet dans le gilet. Le premier officier nous explique que la nuit dans l’eau, en cas de naufrage, on ne voit rien et qu’il faut siffler pour se faire repérer. J’ai un peu de mal à m’y voir, mais il parle sérieusement.
Il nous explique qu’en cas de naufrage, il faut conserver le plus grand calme et notamment ne pas utiliser inutilement les fusées de détresse ou la radio. Les canots, qui ont des allures de sous-marins (ça rassure à moitié), sont dotés de balises Argos. Les fusées ne doivent être utilisées que dans la phase finale du sauvetage lorsque les secours sont en vue. Il nous précise que même en étant repéré, les secours peuvent mettre plusieurs heures voire plusieurs jours pour arriver. Je veux bien le croire, je n’ai plus vu un autre navire depuis quatre jours
A bord des canots, nous dit-il il y a de quoi pêcher, mais c’est pour occuper les naufragés et pas pour se nourrir. A ce stade, je me demande s’il ne se paie pas ma tête, mais ça n’a pas l’air d’être le cas. J’espère ne pas avoir l’occasion de vérifier.
Les consignes de sécurité sont très strictes à bord et ils ont l’air de redouter particulièrement le roulis pour les passagers .Il nous raconte un tas d’histoires affreuses de gens qui sont passés par-dessus le bastingage et là, j’ai tendance à le croire.
Il nous parle ensuite du piratage et des conditions d’attaque (là mon anglais devient insuffisant et je ne capte pas tout). Le fait est que dans ce cas on se regroupe tous dans le mess des officiers. J’apprends qu’ils ont deux fusils à bord. Dans l’ensemble, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris, mais je compte sur ma bonne étoile.
On nous annonce pour demain après-midi une houle de quatre mètres. Ma couchette est dans l’axe du navire. Avec une houle faible le bateau a un roulis latéral moyennement confortable. Je me demande ce que ça fera avec une houle forte.